"C'est
le mois de Marie, c'est le mois le plus beau
" Le
mois de mai, dans notre Québec catholique, c'était le mois de Marie
C'était
aussi le plus beau
Enfin le retour du beau temps après un hiver de
six mois
Quelques fois, il semblait durer six ans! Mais c'était quand
j'étais petit
Je me souviens des processions du mois de mai; le mois de Marie
Haut comme
trois pommes, je regardais les fidèles catholiques qui déambulaient
avec des têtes d'enterrement. Ça ressemblait à une large bande
de motards qui déferlait dans les rues de la paroisse
Sans les "
bécanes! " Et la police précédait le cortège
au lieu de le poursuivre
Les croyants bloquaient complètement la
rue! Les fidèles suivaient la statue de la Vierge Marie et marmonnaient
des incantations religieuses complexes. Le curé menait la prière.
Les bougies dans les mains des dévots vacillaient au rythme des "
Je vous salue Marie " et des " Je crois en Dieu "
Seul un
ouragan aurait pu en venir à bout!
Nos voisins anglophones regardaient avec indifférence la procession. C'était
les seuls anglais de la rue
Voire du quartier. J'avais des amis qui venaient
me voir juste pour en voir un de près! Ils semblaient protester intérieurement
et continuaient à jouer dans leurs plates-bandes en silence. Ils nous accusaient
parfois de n'être que de vulgaires adorateurs d'idoles plâtrées
Nos ancêtres amérindiens se prosternaient, il y a des lunes, devant
leurs totems. Ils adoraient le dieu Soleil, du Vent et de la Pluie! Moi aussi,
j'adorais le soleil
Mais un peu moins le vent et surtout pas la pluie. La
pluie, ça gâche toujours les pique-niques et les vacances!
Le curé disait que les indiens " c'était de vrais païens!
" D'ailleurs, on n'en voyait plus beaucoup des indiens!
On les avait
presque tous évangélisés/exterminés. Avant la venue
des antibiotiques et des vaccins, un cadeau comme la foi, ça pouvait tuer
toute une bourgade. Moi, je refusais systématiquement d'aller à
la messe le dimanche avec la famille depuis mes dix ans. Comme j'avais une arrière
arrière-grand-mère indienne, je me considérais comme faisant
maintenant parti des païens! Maman avait fini par se faire à l'idée!
En mai, le gros lilas devant la maison échappait son lourd parfum
Maman
en coupait des rameaux. Les tiges fraîchement coupées macéraient
dans l'eau presque bénite des vases en verre taillé. Bientôt,
c'était tout le foyer qui empestait. Papa n'aimait pas tellement les effluves
qui émanaient des petites grappes mauves. Maman le rappelait à l'ordre
et pestait contre lui. Il en profitait pour aller fumer dehors une cigarette
Vers la fin de l'après-midi, la procession s'arrêtait devant une
maison. La statue de Marie, fatiguée par la longue et éreintante
marche forcée, devait se reposer pour la nuit. Une famille, reconnue publiquement
comme dévote, abritait alors l'idole jusqu'au lendemain. C'était
un honneur suprême. Les dévots de la paroisse se chamaillaient sûrement
pour savoir qui aurait droit à la récompense... Un jour, ils se
sont arrêtés chez nos voisins d'en face
Les Hurtubise! Ils
avaient l'air d'une bande de connards, ces Hurtubise!
Quand j'y pense aujourd'hui,
ils étaient peut-être pas si cons que ça! Ils l'ont eu, eux,
la statue! "
Ils sont jamais arrêtés chez nous. " C'était peut-être
ma faute! J'étais pas assez chrétien. J'aurais dû me trouver
d'autres fautes à me faire pardonner lors de ma visite forcée au
confessionnal
À l'école, ils nous obligeaient à aller
à l'église le jour de confesse
Alors, je devais m'inventer
des péchés pour que l'abbé soit content! C'était l'école
confessionnelle
La confesse
Le confesseur
Le confessionnal
Avec dix " Notre Père " en prime
Amen!
Maman disait que cela ne faisait rien. " Qu'on n'avait pas à nous
en inquiéter
" Même lorsque la procession s'arrêtait
plutôt chez le voisin! Plus tard j'ai pensé que tout ça "
c'était arrangé avec le gars des vues " ou que c'était
parce qu'on ne contribuait pas assez à la dîme. Mon père trouvait
qu'on payait assez d'impôt et qu'on n'avait pas besoin d'un autre niveau
de taxation ou de gouvernement
Et il chassait le corbeau. Il était
peut-être païen comme moi!
Je me souviens aussi de ces beaux soupers en famille les dimanches de mai. Surtout
pour la fête des Mères! Maman mettait sa belle robe et ses souliers
à talons hauts. Comme elle était belle, ma Maman! Elle me forçait
à mettre mes beaux habits du dimanche, et à me laver les mains avec
la grosse barre de savon jaune avant d'aller à table. Comme j'avais l'habitude
de me salir en moins de dix minutes, Maman attendait à la dernière
seconde avant de m'ordonner d'aller m'habiller convenablement
Puis, installés
à table, elle arrivait avec un large plateau odorant. Le plus souvent,
c'était un gros rôti de porc avec les côtes
Ça
excluait les Juifs ou les Muslis de notre table
Les Juifs, on n'en voyait
pas beaucoup! Et les Arabes, c'était au cinéma comme dans Laurence
d'Arabie. Après un bénédicité rapidement exécuté,
Maman commençait à dépecer la viande. Elle se détachait
toute seule de l'os. Maman était souriante. C'était un bonheur insouciant
pour l'enfant que j'étais
Un bonheur qui deviendrait bientôt
insoutenable pour Maman
Et pour toute la famille.
Un jour, elle est partie
Et avec elle la petite vie sans souci que je menais.
Papa nous avait dits " qu'elle était malade. " Elle était
allée se faire soigner à la maison de repos
Le sanatorium.
On nous avait envoyés en vacances de force chez une brave tante qui s'était
portée volontaire. Maman est revenue deux ou trois semaines plus tard.
Mais elle ne semblait pas guérie pour autant
Elle ne souriait presque
plus. Et puis un soir, c'est Papa qui est parti. Maman et Papa se séparaient
Pour toujours! Ils allaient plus tard divorcer
Pauvre Maman
Dans quelle
galère allais-tu nous embarquer!
On est allé vivre avec notre Maman. Papa avait perdu la garde des enfants.
On l'a " perdu de vue " par la suite
Seulement sa signature sur
les chèques de pension alimentaire qu'il envoyait toutes les semaines.
Un jugement de cour l'avait éloigné de nous pour longtemps. Il avait,
officieusement, été méchant avec Maman
Enfin, c'est
ce que Maman m'avait dit de dire au juge
On s'est trouvé soudainement
en pleine chicane de famille. Nous, on comprenait pas! On était pris entre
les deux
Du jour au lendemain, je suis devenu un fugitif, renié de
tous, sans famille immédiate ou parenté
À l'école,
ils disaient qu'on était différents! C'est à ce moment-là
que j'ai appris à survivre
Et à ne compter que sur moi-même.
Après l'enfer de l'adolescence, j'ai quitté la maison pour faire
mon petit bout de chemin tout seul, comme un grand. Nos rapports s'étaient
dégradés, et bientôt je n'ai plus revu Maman
Elle ne
voulait plus me voir la binette, je suppose. Par la suite, je me suis marié
avec Rosette. J'ai invité Maman à la cérémonie, mais
elle a fait la sourde oreille
Elle avait répondu à mon invitation:
" Bernard, est-ce qu'il y a assez de sel dans le rôti!
"
Bernard, c'était son deuxième! J'ai cru un instant qu'elle n'avait
pas compris, et j'ai répété mon invitation
Elle n'a
pas répondu!
À partir de cet instant, je n'ai plus jamais
eu de nouvelles de Maman!
Aujourd'hui, mes enfants ne connaissent pas leur grand-mère. C'est bien
triste, hélas!
Certains diront que " C'est la vie! " La
vie, c'est parfois triste
Maman, je ne sais pas où tu es
Et j'ai perdu toute trace de toi.
Mais je te dédis tout de même ces quelques lignes pour te souhaiter,
où que tu sois: " Bonne fête des Mères! "
Pour
envoyer une carte virtuelle à votre Maman
Pour
faire parvenir un panier-cadeau à votre Maman bien-aimée
Par
Alain Bellemare
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