Alain
Bellemare
Lève-toi
et marche...
ou
crève!
Les
aventures d'un Pied-Noir en Algérie
Extrait
du roman
Prélude
Je
m'étais réveillé. Dans la chambre il faisait toujours sombre.
Encore fatigué! Comme si je venais de m'étendre
J'ai regardé
ma montre. " Merde! " Ça faisait pas deux heures que je m'étais
couché. J'ai cherché à me rendormir. Des lueurs sont apparues.
Les oiseaux ont chanté. Puis la fenêtre a commencé à
rougir. Les premiers feux de l'aurore
Mais pour les Pieds-Noirs, ce sont
les feux de la honte! Et j'ai pas encore dormi
J'ai rajusté mon oreiller.
C'était pour voler quelques minutes de plus. Et j'ai continué à
faire du sur-place dans mon lit
Une pétarade m'en a fait bondir... Les ressorts du sommier ont grincé.
C'est à cause des mauvais traitements que je leur faisais subir
C'est
pas ma faute! C'est celle d'Ariane! C'est elle qui insistait pour me rejoindre
le matin
Maintenant, elle vient plus. Elle reste chez elle. C'est trop dangereux
dans les rues
J'ai observé dans la pénombre
À travers les doubles
rideaux, une vieille Jeep
Elle asperge la rue. J'habite sur des Caroubiers.
Habituellement, c'est tranquille. Maintenant, ils tirent partout. De haut en bas.
Un pruneau pour tout le monde! Pas de favoritisme. Quatre portes
Quatre
fellouzes. Ils étrennent leurs fusils mitrailleurs sur les bâtisses
C'est fini
Ils sont partis! Quelques fenêtres ont été touchées
Faudra les remplacer. Je dois l'avouer
Je sais plus exactement quel jour
on est
C'est peut-être mardi? Ou c'est mercredi? Je sais plus
Depuis que c'est fini pour nous, c'est plus important... Chaque journée,
c'est plus ou moins la même routine. Je suis noyé dans une mer d'Arabes.
C'est la guerre civile au coin de l'avenue. Frères contre frères
Elle me guette dans la ville. Elle me fait signe. Elle m'attend à chaque
détour d'un croisement. Mes amis tombent sous les balles. Les uns après
les autres
je les vois partir. Bientôt, il m'en restera plus un seul!
Alors, je dois les venger. C'est pour l'honneur! Et pour remettre aux fells la
monnaie de leur pièce
C'est avec du plomb dans la tronche que je
veux leur donner le change. J'ai aussi une forte envie de les faire sauter
avec du plastic! Ils sont terrés dans leurs mosquées de merde
Ils prêchent la haine! Ils se cachent derrière leur Dieu! Plusieurs
fois ils m'ont manqué. J'ai eu de la veine! Mais c'est moi qui aurai leur
peau
À tous
Ces fumiers! Le danger, ça me fait pas peur.
Je le caresse quotidiennement. J'ai l'insouciance d'un dynamiteur expéri-menté.
J'ai tout fait péter au moins une fois
sauf moi-même.
Une voix rauque est sortie de mon gosier. " Dio cane!
C'est quoi ce
putain de vacarme. " Je l'ai à peine reconnue. C'est sûrement
les deux paquets de Gitanes
Hier, j'ai fumé comme une cheminée.
Mes poumons s'en vont en enfer
Et moi, j'y suis presque déjà.
Ils auront qu'à m'y retrouver!
J'ai fouillé sous le plumard. Ma main a été plus rapide que
lui
" Lui ", c'est mon cerveau
Il est toujours en conflit
avec mon instinct de conservation. Mais c'est encore moi le patron! Mon pistolet
m'a tout de suite réconforté. C'est un 9 mm Parabellum. Il me quitte
jamais! Son contact métallique est frais
Comme un glaçon sur
la gencive quand j'étais petit
Juste assez pour geler une dent qui
faisait mal. Engourdir ma douleur
Après, papa me l'arrachait à
froid avec sa pince
Le lendemain, je me sentais tout neuf. Le dentiste,
nous on connaissait pas ça!
Je me suis levé à " l'heure des poules ". Il faisait déjà
chaud! J'ai rincé ma figure à l'eau froide. J'ai regardé
dans le miroir. J'avais les yeux cernés. Un fellouze avait dû me
greffer des poches de thé ébouillantées
Comment avait-il
fait? J'avais presque pas dormi de la nuit!
" C'est une sorte de maladie
chronique professionnelle mon gars
", avait dit le toubib. C'était
lors d'une visite médicale de routine. J'étais encore dans la Légion
à l'époque. Mon mal s'était développé au fil
des ans, qu'il disait
Sans que personne s'en aperçoive
Moi
y compris! J'avais passé plus de trois années à patrouiller
la moitié de l'Algérie
Ils m'ont fait bouffer du fell sans
arrêt. C'était peut-être pour me garder réveillé?
Ou pour me faire obéir aux ordres
sans rechigner! Sans m'assoupir
plus de deux heures d'affilée
À la longue, ça vous
fait une tronche!
Des amis légionnaires, j'en ai connu qui sont tombés
dans
un état catatonique
C'était ceux qui dormaient trop bien.
C'était apparenté au sommeil de plomb
On les retrouvait avec
une balle dans la tête ou la gorge tranchée
La bouche était
ouverte
Ça faisait penser à un appel à l'aide! Une
demande de renfort. Elle serait jamais entendue
Maintenant ils sont morts.
Ils sont tombés pour l'Algérie française. L'Algérie
des Pieds-Noirs. L'Algérie qui n'existe plus!
L'Algérie de
la honte! Leurs paupières sont maintenant indifférentes à
la misère humaine
et à la mienne!